De l'impact de l'IA générative.
Chapitre 1 : l'économie mondiale et le marché de l'emploi
L'intelligence artificielle générative ne cesse de faire parler d’elle depuis l’essor rapide de ChatGPT, qui s'est rapidement hissée au sommet des applications les plus utilisées. Le rythme d'adoption de cette nouvelle technologie est inédit. Nous-mêmes utilisateurs de GPT-4, nous sommes convaincus que cette technologie prometteuse peut permettre d’accroître sensiblement les gains de productivité, en particulier dans les tâches répétitives. En tant qu'investisseurs, nous nous intéressons aux mutations que l'adoption généralisée de cette technologie pourrait engendrer à l’échelle mondiale, à commencer par son impact sur l'économie mondiale et le marché de l'emploi.
Impact sur la productivité
Ce qui est fascinant avec l'IA générative, c'est sa capacité à générer des contenus qui ressemblent à s’y méprendre à ceux produits par des humains. Elle devrait donc très probablement entraîner selon nous des changements considérables dans tous les secteurs de l’économie et ce, à l’échelle mondiale, en rationalisant les workflows et en automatisant les tâches. Nous utilisons nous-même GPT-4 au sein de l’équipe et observons déjà une réelle amélioration de notre productivité quotidienne, grâce à une technologie qui nous aide à synthétiser les recherches sell-side et les implications pour chaque secteur, dont ChatGPT assure le suivi dans un document dédié.
Les recherches publiées par le MIT et l’université de Stanford s’appuient sur des données réelles et nous aident à mieux matérialiser les gains de productivité réalisés : ces études démontrent que la mise en place d'un outil d'IA générative en matière d’assistance à la clientèle augmente la productivité des agents de 14% en moyenne, en automatisant davantage le processus de résolution des demandes et des réclamations des clients. Ce type d’outil est particulièrement utile pour les nouvelles recrues et les travailleurs peu qualifiés, dont la productivité augmente de 35%.
Avec le lancement de Microsoft Co-Pilot dans Office 365 d’ici la fin de l’année, les « travailleurs du savoir » devraient commencer à profiter des bénéfices de GPT-4 dans leurs tâches quotidiennes via des outils comme Outlook, Word, Excel et PowerPoint. Microsoft développe notamment une technologie permettant de créer des présentations, des feuilles de calcul, voire des documents entiers à la place des collaborateurs. Avec plus de 345 millions d'utilisateurs payants d'Office 365 dans le monde, la moindre augmentation de la productivité dans ces domaines devrait avoir des répercussions importantes, et surtout tangibles, à l'échelle mondiale.
Impact sur l'emploi et le travail
Si ces gains de productivité devraient améliorer selon nous le quotidien des travailleurs, il est encore difficile de savoir à qui reviendra la valeur ajoutée créée par la technologie à moyen terme. Goldman Sachs estime par exemple que deux tiers des emplois aux États-Unis subiront à un degré ou à un autre l’impact de l'automatisation liée à l'IA. Cependant, la part des tâches de certains métiers pouvant être automatisées est faible, tandis que pour d'autres, c’est quasiment l’intégralité de la charge de travail qui est à risque. Goldman Sachs indique que les professions administratives et juridiques pourraient voir près de la moitié de leurs tâches automatisées grâce à l'IA générative. En revanche, les travaux manuels liés à la construction, à l'installation et l'entretien d’équipements sont beaucoup moins exposés.
Si l'IA venait à accroître la productivité de nombreux travailleurs, nous pourrions d’abord assister à un ralentissement généralisé des recrutements et potentiellement à des suppressions de postes. Barclays estime que la présence d’agents « intelligents » dans les centres d’appels pourrait faire passer le total d'agents humains de 17,5 millions aujourd'hui à 9 millions d'ici 2032, soit une diminution globale de 49%. Si un nombre accru d'interactions gérées par l'IA venait à se substituer aux agents humains, les coûts totaux pourraient baisser de 43%, toujours selon les données de Barclays.
À court et à moyen terme, de telles tendances pourraient freiner la croissance des salaires et peser sur le taux d'emploi. La croissance des salaires est une variable majeure de l'inflation des prix des services, un indicateur surveillé de très près par la Réserve fédérale depuis le début de son cycle de hausse des taux.
Comme les gains de productivité peuvent se traduire par des licenciements, rappelons qu'en 2022, 1 056 sociétés technologiques ont licencié 165 000 personnes, selon le site layoffs.fyi. Suite à cette vague de licenciements, l'équipe de Sycomore a décidé d’initier un dialogue avec les entreprises investies au sein de ses portefeuilles, mais aussi avec d'autres sociétés, pour mieux comprendre leurs motivations et les modalités concrètes de ces licenciements. Nous avons ainsi discuté avec les équipes de Zoom, Gitlab, Accenture, Salesforce, Microsoft, SAP et Amdocs afin de vérifier que leurs plans de licenciement avaient été annoncés et gérés conformément aux normes éthiques.
Même s’il est légitime de s’interroger sur l’impact à court terme des innovations technologiques sur la dynamique de licenciements, nous sommes convaincus qu’elles finiront par accélérer la croissance de l'emploi à long terme en créant de nouveaux domaines d’activité et de nouveaux métiers.
Impact sur la macroéconomie
Inversement, l'amélioration de la productivité et l'efficacité accrue des travailleurs devraient stimuler la croissance économique car le ratio entre les heures de travail (coût) économisées et l'augmentation de la production (revenus) devrait permettre aux entreprises d'investir dans d'autres activités plus productives ou stratégiques.
Selon une étude de Goldman Sachs, l’amélioration de la productivité du travail qui a suivi les grandes avancées technologiques (l’électricité ou les appareils informatiques personnels par exemple) a entraîné des gains de productivité de 1,5 % par an sur des périodes de dix ans aux États-Unis. Ces booms de productivité coïncident davantage avec une pénétration du marché de masse de ces innovations technologiques qu'avec leur disponibilité commerciale effective. Toujours selon Goldman Sachs, c’est lorsque le seuil de 50% d'adoption est atteint que la productivité commence vraiment à augmenter fortement.
Il a fallu 20 ans à l'électricité et à l'ordinateur personnel pour atteindre ce seuil. La pénétration a été plus rapide pour les technologies plus récentes, comme les tablettes, qui sont passées de 0 à 50 % d'adoption en l’espace de 5 ans.
Par définition, l'adoption de l'IA devrait être beaucoup plus rapide puisqu’il s'agit d'une solution logicielle reposant généralement sur l'informatique dématérialisée (cloud)
Autrement dit, elle peut être utilisée via des applications ou un navigateur Internet sur les PC et les téléphones mobiles que les entreprises et les consommateurs possèdent et savent déjà utiliser. Selon nous, les obstacles habituels à l'adoption (hors enjeux réglementaires) devraient donc être minimes. C’est déjà ce que l’on constate avec ChatGPT, qui a atteint 100 millions d'utilisateurs mensuels en 2 mois, alors qu’il a fallu à Tik Tok, Instagram, Spotify et Uber respectivement 9, 30, 55 et 70 mois pour y parvenir.
Goldman Sachs estime que l’incidence positive de l'IA sur la croissance économique mondiale pourrait accroître le PIB de 7% en dix ans. Mais compte tenu de la rapidité d'adoption déjà manifeste de la technologie et de la multitude de ses applications dans l’ensemble des secteurs, l'impact pourrait selon nous être encore plus massif et plus rapide.
Impact sur les politiques publiques
Si l'impact de l’IA générative sur l'économie et nos vies professionnelles se révèle aussi important que nous le prévoyons, il faut également s’attendre à une refonte inévitable des politiques sociales. Avec l’essor de l'automatisation, les responsables politiques devront probablement revoir les filets de sécurité sociale, en particulier pour les personnes exerçant des professions très exposées à ce phénomène. Les programmes de reconversion professionnelle pourraient devenir un enjeu majeur, pour aider les travailleurs à acquérir les compétences nécessaires dans une économie axée sur l'IA. Mais si les conséquences de l’IA sur l'emploi devaient être néfastes, des concepts tels que le revenu de base universel viendraient-ils à entrer en jeu ? Ce concept est naturellement synonyme d’une augmentation des dépenses publiques.
Toutefois, les conséquences sur les politiques publiques ne se limitent pas à l'emploi et aux budgets nationaux. En effet, l'IA pourrait aussi avoir un impact significatif sur la vie privée et la sécurité des données, ce qui nécessitera de porter un regard nouveau sur les réglementations existantes. Sur les médias sociaux, des utilisations malveillantes de l'IA, avec des répercussions politiques, sont également possibles. Les autorités devront donc juguler la menace croissante de la désinformation et son impact sur les processus démocratiques. Ce problème, déjà omniprésent dans de nombreux pays, ne peut que s'amplifier.
Comme pour tout progrès technologique, il s'agira de trouver un équilibre entre les immenses avantages de l'IA générative et les nouveaux défis qu'elle pose.
L'impact potentiel de l'IA générative sur l'économie, le marché du travail et les politiques publiques est indéniable, mais elle entraînera également de nombreuses autres ruptures et mutations.
Cet article est le premier d'une longue série qui nous donnera l’occasion d'approfondir les retombées dans les différentes industries, comme la santé, la construction et le commerce de détail, ainsi que son influence sur les différents segments du secteur technologique. Notre ambition : appréhender aussi précisément que possible la manière dont l'IA générative devrait façonner le monde dans les années à venir, sous l'angle de l'investissement et du développement durable.