COP 15 : quelle nouvelle donne ?
Episode 2 - La nature en retard sur le climat : un paradoxe
En 2022, ont eu lieu la COP 27, 27e conférence des parties des Nations Unies sur le climat, et la COP15, 15e conférence sur la biodiversité. Du point de vue de la gouvernance mondiale, la biodiversité est en retard de 12 COP sur le climat et 13 ans séparent la COP 15 Climat de 2009 de la COP 15 Biodiversité.
C’est un paradoxe, car l’effondrement de la biodiversité est en avance sur le changement climatique :
En ampleur, d’abord, car l’intégrité de la biosphère, autre nom donné à la biodiversité, est la limite planétaire que l’on sait être la plus dépassée depuis que le cadre scientifique des 9 limites planétaires a été publié en 2009 par le Stockholm Resilience Center. Et la moins dépassée parmi les 6 limites planétaires désormais franchies est… le changement climatique !
En rythme, la vitesse de ce qu’on appelle pudiquement l’érosion de la biodiversité n’a jamais été aussi rapide : selon WWF, la Terre aurait vu disparaître près de 68% de ses populations de vertébrés entre 1970 et 2016, un rythme estimé 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d'extinction par le Fonds mondial pour la nature. L’IPBES , International Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, en bref, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, l’a écrit noir sur blanc : la 6e extinction de masse du vivant est en marche, la 5e étant celle qui a vu s’éteindre les dinosaures, il y a 65 millions d’années… alors parler d’érosion est un euphémisme que je vais essayer d’éviter.
En ancienneté, la propension de l’homme à mener des extinctions massives locales remonte à très longtemps, à des dizaines de milliers d’années, bien avant le recours aux énergies fossiles, et elle n’a fait que croître avec les colonisations et la mondialisation.
En gravité enfin, le poids de la biomasse des mammifères sur Terre est constitué aujourd’hui à 96% par les humains (36%) et par leur bétail (60%), reste 4% de mammifères sauvages. Et chez les oiseaux, 71% sont des animaux d’élevage. C’est incroyable, mais il y a pire… oui, de nombreux biologistes et institutions convergent : une seule espèce est responsable de la pandémie de Covid-19 : la nôtre. Le rapport publié en juin 2020 par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité avait montré que le risque de zoonoses – maladies infectieuses passées de l'animal à l'homme, était accru par l'érosion de la biodiversité, en particulier du fait de facteurs anthropiques. Et si vous avez, comme moi, besoin d’une explication, regardez « La Fabrique des Pandémies », film réalisé par Marie-Monique Robin (2021). Vous y suivrez Juliette Binoche découvrir « l’effet dilution » qui permet aux écosystèmes préservés d’agir comme un rempart contre les pandémies virales ou bactériennes.
Oui, l’Accord de Kunming-Montréal arrive bien en retard ! Alors que l’effondrement de la biodiversité est très avancé, l’espèce humaine est en retard pour l’intégrer. Le GIEC a été créé en 1988 et l’IPBES 24 ans plus tard, en 2012. Depuis, les travaux des deux groupements de scientifiques convergent pour montrer l’interdépendance de ces deux enjeux et le fonctionnement systémique du vivant et de la biosphère. C’est d’ailleurs ce qu’a salué la fondation Gulbenkian pour l’Humanité en octobre 2022, en décernant son prix de manière conjointe au GIEC et à l’IBPES [1]. Ces 24 ans de retard sont en cours de rattrapage et si l’on assimile l’Accord de Kunming-Montréal à l’équivalent pour la Biodiversité de l’Accord de Paris pour le Climat, il n’y a plus désormais que 7 ans de décalage !
Le sujet de la nature, terme plus compréhensible que biodiversité, est boosté au niveau mondial par les récentes dynamiques de la TNFD et du SBTN , très visibles à Montréal. Les constats scientifiques gagnent du terrain. Nous comprenons mieux les caractères systémiques et entremêlés du fonctionnement de la biosphère. Le climat est de moins en moins l’arbre qui cache la forêt [2].
Dans la finance aussi, ce retard s’amenuise. En décembre 2015, naissait la TCFD, Task force on Climate-related Financial Disclosures, qui a produit des recommandations mondiales en 2017. La TNFD, Task force on Nature-related Financial Disclosures, a été créée en 2021 et a produit ses recommandations préliminaires en 2022, pour version finale prévue en 2023. Le retard n’est plus que de 6 ans. En France, il aura fallu 4 ans pour que l’article 173 de la Loi sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte de 2015 (entrée en vigueur pour l’année de reporting 2016) soit remplacé par l’article 29 de la Loi Energie Climat (LEC) de 2019 (entrée en vigueur pour l’année de reporting 2021), étendant clairement l’approche exigée sur le climat à la biodiversité.
[1] Cf. https://ipbes.net/news/Gulbenkian_Award
, “IPBES and IPCC Chosen to Share 2022 Gulbenkian Prize for Humanity ».
[2] En clin d’œil à l’ouvrage de Guillaume Sainteny, « Le Climat qui cache la forêt », qui dénonçait dès 2015 la priorité donnée au changement climat par les Etats, à travers l’écofiscalité notamment, et par les médias, cf. https://www.ruedelechiquier.net/essais/65-le-climat-qui-cache-la-foret.html