Touché mais pas coulé. Le projet de directive concernant le devoir de vigilance des entreprises européennes a été rejeté mercredi 28 février par le COREPER, comité des représentants permanents du Conseil de l’UE, faute de majorité qualifiée. Plusieurs pays, au premier rang desquels figurent l’Allemagne et l’Italie, ont fait barrage à l’adoption du texte baptisé Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD). En dépit de ce revers majeur, tout n’est pas perdu et les négociations continuent.
La proposition de directive de la Commission européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ne fait visiblement pas que des heureux. Elle vise à réglementer les obligations des sociétés en matière de responsabilité sociale et environnementale, concernant toute la chaîne de valeur. Elles devront ainsi s’assurer de la garantie du respect des droits humains et environnementaux, y compris au sein de leurs filiales et fournisseurs. Contraintes de prendre des mesures pour identifier, prévenir et corriger tout abus en toute transparence, elles seront également dans l’obligation de mettre en œuvre des mécanismes de réparation pour les victimes.
Le texte s’inspire des standards non contraignants existants au niveau international tels que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Il s’appuie également sur la réglementation déjà en vigueur dans certains Etats membres, à l’image de la France, des Pays-Bas ou encore de l’Allemagne. Son objectif est d’harmoniser les règles que doivent respecter les entreprises européennes, tout en allant un cran plus loin avec un champ d’application plus large que celui défini par les différentes législations nationales. Par exemple, dans l’Hexagone, seules les sociétés de plus de 5 000 salariés sont tenues de se conformer au devoir de vigilance instauré par la loi du 27 mars 2017.
Le projet de directive CSDDD propose de prendre en compte un nombre plus restreint d’employés (plus de 500, un chiffre que la France a tenté de relever à 5 000 à la dernière minute), de définir un certain seuil de chiffre d’affaires (supérieur à 150 millions d’euros) et des exigences plus strictes pour les secteurs d’activité à fort impact environnemental et social, tels que le textile.
Le texte concernerait toutes les entreprises, celles ayant leurs sièges sociaux dans l’Union européenne comme les acteurs de pays tiers opérant sur le Vieux Continent. Selon les estimations de la Commission, le devoir de vigilance s’appliquerait ainsi à près de 18 000 sociétés. La proposition de directive prévoit également la création ou la désignation d’autorités administratives nationales dont la mission consisterait à surveiller la bonne exécution du devoir de vigilance, avec à la clé de possibles sanctions administratives.
Les lobbies économiques remportent une première bataille
Depuis l’accord provisoire conclu en trilogue (par la Commission européenne, le Conseil de l’UE et le Parlement européen) en décembre dernier, le projet de directive subissait les assauts des lobbies économiques, au premier rang desquels figurent les principaux syndicats patronaux. Bien décidés à tenir le texte en échec, ils ont fini par avoir gain de cause - temporairement - le 28 février dernier, déclenchant la colère des ONG. Elles dénoncent une remise en cause alarmante et inacceptable d’un texte visant à préserver les populations des atteintes aux droits humains et environnementaux.
En tant que société de gestion d’actifs engagée pour le développement d’une économie plus durable et inclusive, nous déplorons le rejet du projet de directive. Nous sommes pleinement
convaincus de sa pertinence, pour trois raisons majeures. Tout d’abord, la mise en place d’une telle réglementation permettrait selon nous d’améliorer la connaissance de l’ensemble des parties prenantes, en particulier des investisseurs, concernant les risques auxquels sont confrontées les entreprises. Par ailleurs, nous considérons que les efforts de transparence résultant de l’application de la directive permettraient d’accélérer la mise en œuvre de démarches de progrès. Enfin, les évènements de ces dernières années ont montré la dépendance de nos économies à des chaînes de valeur souvent trop complexes : la connaissance et la maîtrise des risques ESG sur les chaînes d’approvisionnement constituent ainsi un enjeu majeur, tant réputationnel que financier.
Sujet de préoccupation central, les droits humains représentent un axe d’engagement important auprès des entreprises de notre univers d’investissement. A ce titre, Sycomore Asset Management a formalisé en 2020 une politique en la matière, se référant explicitement aux Principes directeurs des Nations Unies.
Concernant l’avenir du projet de directive CSDDD, il est encore trop tôt pour se montrer résignés. Toutefois, le temps est compté avant les élections européennes qui se tiendront au mois de juin et pourraient rebattre les cartes. Ainsi, la place accordée à la transition environnementale et sociétale à partir du second semestre 2024 sur le Vieux Continent dépendra du nouveau visage du Parlement. Les défenseurs de la directive CSDDD souhaitent donc accélérer le calendrier pour espérer la voir approuvée à marche forcée et sans délai. A ce titre, les prochaines semaines seront décisives.