Les valeurs de la transition écologique souffrent en cette année 2023 – l’indice Global Clean Energy enregistre une sous performance significative de -30% depuis le début de l’année. Certains acteurs de la transition énergétique ont d’ores et déjà retrouvé des cours de bourse du niveau de 2019, alors que les États-Unis, l’Europe et la Chine ont tous trois annoncés des plans massifs de soutien à la transition énergétique depuis. Les primes de valorisation se sont largement effondrées depuis le pic de 2020, le profil risque/rendement de ces valeurs redevenant attractif sur un horizon à 3-5 ans. Retour sur les principaux facteurs adverses et focus sur les perspectives que l’environnement présente désormais.
Le financement de la transition face aux défis de la hausse des taux
Le changement de régime de taux d’intérêt pénalise fortement l’ensemble des acteurs de la transition écologique pour lesquels les besoins de financement sont colossaux pour assurer leur développement, la mise en œuvre de leurs projets et, avec eux, la transformation de l’économie. Il faut compter pas moins de 5 000 milliards d’euros d’investissement d’ici 2030 rien que pour financer la transformation du système énergétique européen (Morgan Stanley).
Dans toutes les sphères du thème, que ce soit dans les renouvelables ou chez les industriels, la hausse des taux d’intérêt complexifie à la fois la recherche de financements mais aussi la création de valeur, c’est-à-dire la capacité à générer des retours sur capitaux employés supérieurs à un coût du capital qui s’est beaucoup renchéri.
Mais c'est la transition vers des taux plus élevés, plutôt que le niveau des taux en lui-même, qui génère des perturbations, car elle remet en question l'équilibre économique établi jusqu'à présent.
Par ailleurs, ce nouveau régime pénalise particulièrement les petites et moyennes capitalisations qui concentrent pourtant bon nombre de solutions pour faciliter et accélérer la transition écologique. En effet, les coûts d'intérêt augmentent beaucoup plus pour les petites capitalisations que pour les grandes, et leurs conditions d’accès aux financements se durcissent. L’univers sous performe donc largement les large caps depuis la fin du premier trimestre 2022.
Amorcé pour lutter contre une inflation que l’on avait d’abord cru transitoire mais qui s’était finalement installée post-covid, le cycle de hausse de taux semble désormais toucher à sa fin. Le débat actuel se focalise non plus sur le niveau final des taux mais sur la durée de maintien de cette politique monétaire restrictive, dans un contexte où la croissance américaine demeure extrêmement résiliente. La norma-lisation graduelle de l'inflation, même si elle persiste à des niveaux élevés, semble témoigner de l'accomplissement des objectifs des banques centrales dans ce domaine et suscite l'espoir d'un atterrissage en douceur de l'économie.
Les acteurs de l’économie circulaire ainsi que ceux de l’électrification résistent mieux dans cet environnement : les premiers parce qu’ils sont d’autant plus plébiscités que l’inflation rogne sur le pouvoir d’achat, les seconds parce que leur activité est moins corrélée au cycle économique que dans le passé (des révisions à la hausse de leurs niveaux de croissance, un fort pouvoir de fixation des prix, une demande qui tient liée au besoin de rééquipement en électrique).
Par ailleurs, la matérialisation de mécanismes de soutien (notamment sous la forme de crédits d’impôts ou de garanties d’États) est très attendue par les investisseurs. Ces mesures visant à motiver l’effort des contributeurs à la transition écologique pourraient cons-tituer un soutien non négligeable pour les acteurs faisant face à des CAPEX importants sur les segments des utilities, de la mobilité (infrastructures) ou encore de l’efficacité énergétique de l’industrie (pour financer la moderni-sation des appareils productifs et la mise en place de sources d’énergie alternatives et plus propres par exemple).
Dérisquer les chaînes de valeurs, une source d’opportunités
L’arrêt brutal des flux économiques mondiaux au déclenchement de la crise du Covid a profondément déséquilibré les chaînes d’approvisionnement qui peinent encore à retrouver un point d’équilibre entre l’offre et la demande. A l’époque, l’écosystème de la transition écologique se retrouve d’abord paralysé par des ruptures de stocks en cascade et des blocages logistiques avant de faire face, depuis 6 mois, à des niveaux de surstockage tels que les ventes s’effondrent dans certains maillons de la chaîne de valeur.
L’intervention politique a accentué ces disruptions dans les chaînes d’approvisionnement, en réaction à des enjeux à la fois géopolitiques et opérationnels de dé-globalisation. À travers la transition énergétique, les États cherchent à maîtriser leurs approvisionnements en énergie et à réduire leur dépendance aux combustibles fossiles.
Ces mesures protectionnistes créent de l’inflation à court terme. Relocaliser des chaînes de valeur, c’est reconstruire des capacités manufacturières : cela implique des investissements importants, des sources énergétiques potentiellement moins compétitives. Aujourd’hui, un panneau solaire fabriqué en Europe coûte deux fois plus cher qu’un panneau fabriqué en Chine, qui bénéficie notamment d’une faible base de coût (charbon, main d’œuvre).
La situation sur certaines chaînes de valeur est en train de s’assainir
Soit les effets de surstockage sur certaines poches s’estompent progressivement, comme c’est le cas dans le domaine des infrastructures de recharge de véhicules électriques qui voient le niveau de leurs stocks se normaliser, soit les baisses de prix engendrées par les stocks trop importants s’avèrent favorables : la chute des prix de l’ensemble des équipements solaires de l’ordre de 30% depuis le début de l’année, par exemple, redonne du souffle à la profitabilité des projets solaires et favorise leur installation à plus grande échelle.
La réindustrialisation des sols crée un boost de demande dans les industries à l’œuvre pour la relocalisation des manufactures
Et notamment tous les fournisseurs de services de construction ou d’opérations qui ont pour clients des industriels. Illustration aux États-Unis, avec l’essor des data centers et la relocalisation des équipementiers renouvelables. Sous l’impulsion de l’Inflation Reduction Act, les équipementiers solaires américains annoncent des expansions de capacités significatives sur le territoire américain : il leur faut non seulement construire les murs des usines, mais aussi trouver les prestataires qui fourniront l’électricité et opèreront la gestion des eaux usées industrielles, essentielles à leur fonctionnement.
Des entreprises comme Eaton (gestion des installations électriques), Veolia (sur son segment WTS), Clean Harbors (traitement des déchets) ou encore Arcadis (design d’infrastructure) bénéficient de cette dynamique.
Le rôle décisif des États pour une transition juste
Les enjeux de souveraineté énergétique dans un contexte d’inflation et de hausse des taux d’intérêt placent les pouvoirs publics face à un exercice difficile de balancier pour trouver le juste point d’équilibre entre le pouvoir d’achat des consommateurs et l'urgence à opérer la transition. En somme, comment s’assurer que le coût de la transition écologique ne soit pas répercuté sur le consommateur ?
La situation d’Orsted est caractéristique : le développeur de projets éoliens offshores a annoncé une charge de dépréciation massive de près de 2,3 milliards de dollars, liée pour un tiers à la hausse des taux d'intérêt. Le développement des champs d’éoliennes offshores est donc remis en question par le groupe et porte le débat au niveau des États : soit ils repensent la formule de rémunération d’Orsted pour que le groupe y trouve une rentabilité économique suffisante, soit le projet n’a pas lieu et ralentit la transition énergétique. L’offshore joue en effet un rôle crucial dans l’offre renouvelable, compte tenu de ses caractéristiques techniques, très différentes du solaire, de l’onshore et des énergies fossiles, et notamment des facteurs de charge élevés et une production plus régulière.
Entendu que les États ne pourront financer seuls le coût de la transition, sous peine de voir leur ratio d’endettement augmenter de 45% à 50% en moyenne (FMI, octobre 2023), il est essentiel pour eux de stimuler l'investissement privé à travers différents instruments comme les incitations fiscales, règlementations ou taxe carbone et d'instaurer un climat propice à l’investissement. L’enjeu est d’autant plus urgent que le Parlement européen vient par ailleurs de donner son feu vert à la directive RED III qui passe la part obligatoire d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie de l’Union Européenne de 32% à 42,5% d’ici 2030.
Par ailleurs, l’environnement inflationniste et de taux d’intérêt élevés provoque un recentrage des investissements vers les solutions les plus viables économiquement, les plus compétitives et dont les retours sur investissements (financier et climatique) sont les plus élevés à court terme : les panneaux solaires, le stockage/ les batteries, ou encore l’efficience énergétique à grande échelle.
En la matière, on assiste d’ailleurs à une accélération du financement des États pour accompagner les industries dans leur transformation. Au contraire, les options technologiques envisagées dans un environnement de taux bas mais dont l’équation économique à court terme est moins évidente risquent d’être challengées, c’est le cas de l’hydrogène par exemple.